Deux types d'agences de publicité cohabitent aujourd'hui : les traditionnelles, qui désormais cherchent à intégrer la dimension digitale de notre époque, et les agences digitales, les pure-players, qui elles tentent de faire une place à la stratégie et au marketing. |
Jean-Philippe, vous êtes notamment Directeur Planning Stratégique chez Digitas LBI France, pouvez-vous évoquer rapidement votre parcours ?
Je suis né dans le conseil et la communication politique au sein du groupe Havas, où j'ai également eu l'occasion de traiter de grands thèmes d'intérêt public, comme la lutte contre le sida.
J'ai en outre travaillé pour un certain nombre de collectivités locales pour lesquelles j'avais développé une expertise particulière sur le paysage urbain. Il s'agissait de considérer ce paysage comme le premier média des collectivités afin qu'il soit porteur des messages que celles-ci souhaitaient faire passer.
Je suis ensuite parti faire du planning stratégique dans différentes agences, pour m'occuper de budgets comme Mercedes ou France Telecom, avant d'arriver chez DDB, où j'ai pris en charge le planning stratégique de Volkswagen.
J'ai donc mené une carrière de conseil, puis de publicitaire avant de rencontrer le digital au sein d'une start-up du groupe Bolloré, qui a ensuite été rachetée par W & Cie. Cette filiale du groupe Havas souhaitait se développer dans le digital ; j'ai alors pris la direction du planning stratégique intégré de la nouvelle agence. Je me suis vite aperçu qu'il n'était pas possible de s'immerger totalement dans le digital dans une agence traditionnelle. J'ai alors décidé de rejoindre une agence purement digitale, en l'occurrence DigitasLBI.
Passer d’une agence de publicité à une agence pure player induit sans doute une vision, une culture et des pratiques différentes du métier de planneur stratégique. Quelles sont-elles ?
Comment mixer ces deux visions du métier ?
En France, tout est en silos. Il y a les agences d'événementiel, les agences de publicité, les agences digitales, etc. Tout est séparé. Le digital remet en cause cette distinction, mais il est encore difficile pour une agence traditionnelle de traiter des sujets intégralement digitaux, des écosystèmes assez lourds qui nécessitent une expertise vraiment spécifique, que ces agences n'ont pas.
Sur les 400 salariés de DigitasLBI par exemple, il y a une centaine de développeurs qui font du code et qui sont les véritables producteurs de tous les assets digitaux mis en place. Ces savoir-faire-là sont totalement absents des agences traditionnelles. C'est un problème en termes de capacité, mais aussi de culture : tant qu'il n'y a pas la rencontre de ceux qui ont une approche stratégique et marketing et ceux qui ont une approche technologique, on ne réfléchit pas correctement. C'est la rencontre de ces deux mondes qui est féconde et qui permet aux agences digitales de proposer aux clients des réalisations digitales pertinentes, qu'elles maîtrisent intégralement.
Quelles valeurs ajoutées cette mixité peut-elle apporter au client ?
Aujourd'hui, je sais ce que veut dire construire un écosystème purement digital ; j'en connais les règles et les contraintes, même si je ne maîtrise pas encore tous les aspects techniques. En même temps, je n'oublie pas ce que j'ai acquis dans les agences de publicité traditionnelles qui restent, selon moi, la meilleure école pour acquérir la pensée marketing, c'est-à-dire l'idée stratégique à partir de laquelle on doit tout construire.
C'est bien de savoir établir une stratégie marketing, c'est bien aussi de savoir comment construire les « tuyaux », c'est encore mieux de pourvoir concilier les deux. C'est en tout cas ce que j'essaie de faire au quotidien.
Quelle est votre vision du digital ?
Le digital offre un terrain de jeu beaucoup plus large que les médias traditionnels. La démarche n'est plus Top-down. Il ne s'agit plus de conseiller le public, les consommateurs, mais de leur demander leur avis, de les impliquer. Ils ne sont plus spectateurs, mais acteurs. Il est donc indispensable de connaître leurs goûts, leurs motivations, leur comportement, cela pour les impliquer dans la campagne digitale, pour qu'ils en fassent partie intégrante. Il s'agit de mettre en place une démarche commune entre une marque et ses publics. Cela change les façons de penser.
Ce qui fonctionne dans les campagnes publicitaires classiques ne marche pas dans le digital, car il manque cette dimension « public », qui joue désormais un rôle aussi important que la marque. Pour nombre d'experts, cette marque n'est plus seulement ce qu'elle produit, mais aussi ce que les gens disent et pensent d'elle. Elle devient une coproduction entre la marque à proprement parler et son public.
Le digital est donc pour moi cette implication du public.
Cet univers est finalement plus proche du téléphone que de la télévision. Avec un téléphone, ce que vous répond votre interlocuteur va avoir une influence sur ce que vous allez dire ou répondre à votre tour. Il n'y a pas cet échange avec la télévision ; elle ne fonctionne que dans un sens.
Avec le digital, il y a une vraie interaction, même si le terme est un peu galvaudé aujourd'hui, entre la marque et le public. Il est ainsi possible de modifier une campagne en fonction de la réaction des gens. Cet échange devient central. Nous avons par exemple lancé une campagne pour une marque de sous-vêtements. Les mannequins étaient habillées et le public devait télécharger une application pour « déshabiller » ces mannequins et découvrir la nouvelle collection de sous-vêtements. Sans l'implication du public, s'il n'avait pas téléchargé l'appli, ça n'aurait pas fonctionné.
Même les entreprises modifient leur façon de se présenter. Le modèle traditionnel de la plate-forme de marque, grâce auquel elles fixent leur ADN : vision, mission, valeurs, tonalité, etc., date des années 1950. Nombreuses sont les entreprises aujourd'hui qui cherchent à faire évoluer ces plate-formes dans le but d’y faire plus de place à leurs publics. Pour remplacer en quelque sorte l'ancien « Voici qui nous sommes » par un nouveau « Voici qui nous sommes à travers vous».
Quels types de profils est-il nécessaire d’intégrer pour accompagner cette évolution ?
Il faut tout simplement des gens curieux, qui aient envie d'aller voir ce qui se passe de l'autre côté. Un spécialiste en marketing doit vouloir comprendre comment on réfléchit côté digital, et réciproquement.
En fait, il faut des passeurs, qui soient capables d'établir un passage entre deux mondes.
Ils doivent parler les deux langages pour se faire comprendre par tous. Il n'y a pas d'école pour cela. Il faut construire soi-même son parcours de formation, par petites touches. C'est de l'impressionnisme en quelque sorte. C'est précisément cela qui fait la richesse de ces métiers, car l'importance des individualités y est essentielle, fondamentale. Il n'y pas de modèle.
Le digital diversifie et recompose les métiers de la communication. De nouvelles fonctions émergent-elles pour le planning stratégique ? Quels changements pressentez-vous pour le métier de planneur stratégique ?
Historiquement, le planning stratégique était appelé la « voix du consommateur », alors que dans une agence, le commercial est plutôt la voix de la marque. Etant donné que le digital donne de plus en plus de place aux consommateurs, le champ d'action du planneur stratégique est donc potentiellement plus large qu'il ne l'était avant. Parallèlement, le métier de planneur stratégique est appelé à évoluer selon les besoins et les demandes des entreprises. Elles sont par exemple très demandeuses en termes de nouveautés, d'innovation, de design-thinking. Elles estiment de plus en plus que le digital doit aussi s'incarner dans des services et des produits. Le planneur stratégique doit répondre au mieux aux attentes des clients et à ceux des entreprises. Au final, l'évolution digitale de la publicité valorise clairement le métier de planneur stratégique.
Le Digital est au cœur des enjeux communication et marketing des marques; qui de l'agence pure player ou de l'agence classique est la mieux placée pour répondre aux besoins des annonceurs ?
Si je me fie à mon expérience, je pense que les pure players sont les mieux armées pour donner aux annonceurs ce qu'ils demandent. A condition bien sûr qu'elles aient envie de faire de la place à la stratégie et au marketing… Certaines agences digitales ne le souhaitent pas et préfèrent rester spécialisées. Globalement cependant, il est probablement plus facile de faire fleurir des expertises marketing dans un univers purement digital que le contraire. C'est en tout cas la conclusion que m'inspire mon parcours personnel.
Même si réussir à « pénétrer » cette autre culture qu'est le digital ne se fait pas sans effort.
Jean-Philippe MARTZEL
DGA, Directeur du planning stratégique chez DigitasLBI