A l’heure de la digitalisation des compétences, quel enseignement doit-on fournir aux digital natives, employés de demain, pour lesquels l’utilisation des technologies numériques apparaît comme une évidence. Le Groupe Hattemer conjugue un enseignement traditionnel avec une approche innovante des cours d’informatique. Réponses avec son Président, Jean Schmitt.
Faut-il un enseignement différent pour les digital natives ?
Nous devons avant tout fournir des bases académiques aux digital natives. Les maths, la physique, le français, l’anglais doivent être acquis de manière solide. Ce n’est pas parce que le digital native travaillera sur Internet qu’il pourra se permettre de faire des fautes d’orthographe. La question est donc plutôt : quel peut être l’apport du numérique à l’enseignement ? Il permet notamment d’adapter l’enseignement à l’élève, en fonction de ses capacités.
Comment abordez-vous l'enseignement informatique et à partir de quel âge ?
L’enseignement informatique peut débuter à partir de 4 ans. Dès le départ, il ne faut pas former des utilisateurs mais bien des concepteurs. Il faut surtout éviter de former une génération qui vive et s’abreuve d’Internet, d’un contenu prédigéré. Pour moi, le vide, l'abîme de la banalité, c’est le «user generated content ». Ceux qui inventent et réinventent l'internet son des concepteurs, solidement formés en sciences en particulier en mathématiques.
Le digital influe-t-il sur notre capacité cognitive et notre relation au savoir ?
A l’instar d’un livre ou d’un jeu vidéo, le temps passé sur un ordinateur influe sur nos capacités cognitives, de manière positive ou négative. Par exemple, s’agissant du numérique, la facilité d’accès à l’information peut amener à ne plus entraîner sa mémoire. L’influence est alors plutôt négative. Une mémoire bien gérée est essentielle au processus cognitif et il est paradoxal de voir les hommes s’en détacher alors que la mémoire de nos appareils double tous les 2 ou 3 ans.
Quoi qu’il en soit, les hommes sont et resteront tributaires des sources qui leurs sont disponibles dans leur processus d’apprentissage qu’il soit inductif ou déductif. Apprendre à partir de mauvaises sources, et il y en a beaucoup sur internet mais aussi dans les livres, habituera les gens à de mauvais raisonnements. A ce jour, le numérique a fait croître la quantité et baisser la qualité moyenne. L’intelligence individuelle reste donc plus que jamais primordiale.
Nous verrons ce qu’apportent les prochaines avancées technologiques notamment en matière de Web sémantique.
Quels rôles doivent encore jouer les livres ? Le papier ?
Le papier et les livres sont voués à disparaître. La tablette va écraser ces supports car les avantages pour les utilisateurs sont multiples : le poids dans les sacs, le téléchargement, les animations, le coût. Pendant longtemps, nous risquons d’assister à un doublon. Celui-ci cessera quand les batteries auront plus d’autonomie et le contraste des écrans sera plus élevé.
Les élèves "connectés" développent-ils une forme d'intelligence collective ?
Les médias digitaux facilitent la communication et l’accès à l’information ; la quantité de données numériques permet aux data-miners de former des conclusions inaccessibles au raisonnement humain. Mais l’intelligence collective est encore aujourd’hui plus un sujet d’étude qu’une réalité du quotidien. Celle-ci existe peut-être mais elle n’existe pas sans la capacité de compréhension de chaque individu. Il ne faut pas parer l’informatique de vertus excessives. J’insiste aujourd’hui énormément sur l’intelligence individuelle. Les grandes inventions qui ont changé le monde ont rarement été faites collectivement.
Quels sont les risques intellectuels et humains du digital ? Comment y sensibiliser les élèves ?
Le risque du numérique, c’est de vivre dans un monde virtuellement agréable qui fait croire à chacun qu’il est innovant, intelligent, aimé... Or, la seule bonne façon d’emmener les jeunes dans l’utilisation du numérique, c’est en leur donnant des bases académiques très solides pour qu’ils deviennent les concepteurs de l’Internet de demain. Sans en faire à tout prix des génies, mais pour que chacun puisse apporter sa contribution raisonnée.
A propos
Jean Schmitt est Président du Groupe Hattemer et Directeur Général de Jolt Capital.
Diplômé de Télécom ParisTech et titulaire d'un mastère en intelligence artificielle, il enseigne aujourd'hui régulièrement à Telecom ParisTech et HEC.
Au fil de sa carrière, Jean a su se forger une expertise en matière d'entrepreneuriat et d'investissement technologiques. Il siège aujourd'hui au conseil d'administration de plusieurs entreprises technologiques cotées.