La Direction RH est confrontée à des enjeux et des contraintes diverses. Elle doit anticiper les évolutions légales, prévoir et acquérir les compétences nécessaires, fidéliser les collaborateurs, favoriser l’engagement autour de la culture et du projet de l’entreprise afin de favoriser sa croissance tout en valorisant le capital humain. Elle a pour cela besoin de maitriser l’information stratégique. L’Intelligence Economique (IE), en tant qu'outil décisionnel, peut être intégrée à la fonction RH. Lucie Loubet, professionnelle de l’IE, nous indique les bénéfices, les enjeux et défis de cette discipline pour le département RH. |
L’intelligence Economique est de plus en plus évoquée dans les entreprises, pouvez-vous nous définir ce que c’est exactement ?
L’Intelligence Economique (IE) est une palette d’outils visant à offrir aux dirigeants les moyens de maîtriser l’information stratégique. Qu’il s’agisse de collecte, de protection ou de diffusion de l’information, ces outils aident l’entreprise à adopter une position proactive. Ils conduisent cette dernière à s’interroger sur ses besoin informationnels, ses données sensibles, sa capacité d’influence, pour la conduire à mieux formuler et dérouler sa stratégie. Plus l’environnement est complexe, plus l’IE est utile, voire indispensable, au pilotage de l’entreprise.
Qu’apporte l’IE au département des RH ? En particulier dans la gestion du capital humain ?
L’IE permet au département RH de gagner en efficacité, pour le recrutement notamment, et en profondeur sur le plan stratégique. Les professionnels des ressources humaines ont en effet un accès privilégié à l’information : ils connaissent leurs employés, mais également les candidats et la concurrence. Ils ont également une vision transversale de l’organisation, des compétences et de leur évolution. L’IE aide à mieux capter, mieux protéger, mieux analyser et mieux diffuser cette information qui prendra alors toute sa valeur.
Prenons plusieurs exemples :
- Une veille sur des blogs techniques permet de surveiller l’apparition et les mouvements de recrues potentielles ;
- Une veille interne permet une remontée d’information, aidant l’entreprise à fidéliser ses collaborateurs et à anticiper d’éventuels mouvements sociaux ;
- Le Knowledge Management permet d’évaluer et de cartographier les compétences pour identifier d’éventuelles lacunes au sein de l’entreprise. Il permet aussi d’identifier les besoins en formation et transferts de compétences, indispensables pour sécuriser et améliorer le capital humain de l’entreprise ;
- La gestion de la réputation employeur permet d’attirer les meilleurs profils et de mieux négocier les embauches.
Les applications sont nombreuses, et principalement centrées autour de la gestion du capital humain. Attirer, faire évoluer et retenir les talents sont des leviers de compétitivité primordiaux pour les entreprises. L’IE équipe les fonctions RH sur chacune de ces problématiques.
Nous venons de voir que l’IE peut apporter des solutions au département RH. Comment aider les professionnels RH à appréhender cette démarche ? Comment mettre en place un dispositif d’intelligence RH ?
L’importance de l’information et les problématiques éthiques qui y sont liées sont naturellement assimilées par les professionnels des RH. Pour concrétiser la démarche, deux étapes sont prioritaires : la définition des besoins informationnels et la mise en place d’outils.
Quels sont les postes clés au sein de l’entreprise ? Qu’attendent les collaborateurs de leur direction ? L’évolution du marché nécessite-elle de nouvelles compétences ? Quelle image a mon entreprise sur le marché de l’emploi ? Combien mes concurrents rémunèrent-ils leurs collaborateurs ? Quelqu’un cherche-t-il à débaucher mes collaborateurs ?
En collaboration avec l’équipe de direction, les RH doivent lister les questions clés, autour desquelles s’articulera la démarche d’intelligence économique.
Il faut dans un second temps procéder au choix des outils et à la formation des RH à la gestion de l’information. Parmi les outils les plus communs se trouvent les logiciels de veille, les réseaux sociaux d’entreprises, les logiciels de cartographie, les espaces de stockage sécurisés, les grilles d’analyses d’information et les logiciels de sondage. Ces outils existent sous de nombreuses formes, gratuites ou payantes, de la plus basique à la plus pointue, avec ou sans services associés de conseil.
Mettre en place une démarche d’IE est un investissement. Il est plus prudent de faire appel à un spécialiste, qui pourra faire bénéficier l’organisation de son expertise et de son expérience.
Prenons un exemple concret. Dans l’entreprise de demain que certains annoncent plus collaborative, plus flexible et managée par l’innovation, des leaders efficaces seront nécessaires. Comment anticiper cet enjeu de recrutement ?
Puisque l’entreprise ne cherchera plus à recruter uniquement sur des compétences classiques, elle devra faire évoluer ses méthodes de recrutement. Plusieurs actions peuvent être menées pour cela :
- Surveiller les réseaux sociaux, professionnels ou non, pour identifier les profils se démarquant par leur capacité d’influence ;
- Faire appel à des tests d’évaluation de compétences et de personnalité ;
- Détecter les leaders en interne et les fidéliser, par la formation, l’évolution interne et/ou la rémunération ;
- S’équiper au plus tôt d’outils collaboratifs, qui donneront aux collaborateurs les moyens d’exprimer leur potentiel ;
- Renforcer sa « marque employeur ».
Ce dernier point est sans doute le plus important. Si elle veut attirer les meilleurs profils, capables de mener des projets innovants et de la faire évoluer, l’entreprise doit montrer l’exemple et apparaître comme influente. Elle doit communiquer, sur Internet, dans la presse spécialisée, dans les organismes de formation, par le biais d’événements. Travailler pour une entreprise prestigieuse peut avoir plus d’importance que le niveau de rémunération, en particulier chez les candidats en début de carrière.
D’un point de vue des réseaux d’influence invisibles ou informels dans l’entreprise, quels sont les enjeux pour la Direction RH ?
Ceci est un point sensible quand on aborde la question des liens entre IE et RH. Il nourrit les pires craintes à l’égard des deux disciplines, faisant par exemple des RH l’outil d’espionnage ou de propagande de la Direction.
Mais il convient d’aborder la question avec davantage de recul : les professionnels des RH ne peuvent travailler déconnectés de leur entreprise. Ils doivent observer et se tenir à l’écoute. En sachant identifier les réseaux informels, et en portant attention aux « portes parole » ils peuvent évaluer l’état d’esprit des collaborateurs. Attention toutefois à ne pas écarter les personnes plus discrètes, qui peuvent également faire remonter de l’information importante.
Savoir reconnaître que certains collaborateurs sont particulièrement reconnus sur le plan professionnel aide également à faire les bons choix en termes d’évolutions internes.
Enfin, les RH doivent prendre conscience qu’ils peuvent être la cible de manipulations de personnes cherchant à être bien vues ou à dénigrer leurs collègues. Mieux connaître les réseaux d’influence internes permet de mieux s’en protéger.
En conclusion ?
IE et RH sont deux disciplines stratégiques pour l’entreprise, qui s’enrichissent mutuellement. Si l’IE permet aux RH de gagner en anticipation et en influence, les RH peuvent également alimenter l’IE en information particulièrement précieuse car non ouverte.
Pour l’IE comme pour les RH, l’humain est au centre des préoccupations. C’est pourquoi elles sont indissociables.
A propos : après avoir été diplômée de l'IDRAC et de l'Ecole de Guerre Economique, Lucie Loubet a intégré le groupe Grant Thornton, cabinet leader d'audit et de conseil. Dans un premier temps chargée de projet de veille et knowledge management, elle occupe aujourd'hui le poste de chargée de développement de clientèle à Lyon.