Interview d'Anne-Céline Lejeune et Marianne Gasser (ACL/MG Partners)
En période de crise, disposer des bonnes compétences est plus que jamais essentiel pour les entreprises. Pourtant, les recrutements sont en berne. Le manque de flexibilité est-il en cause ? Notre point de vue de recruteurs en veille constante sur le marché.
Quel regard portez-vous sur la question de la flexibilité du travail, en France comme dans les pays voisins ?
Cela fait longtemps que nous sommes confrontés à ce qui est devenu aujourd'hui un enjeu majeur. On l'a vu avec la négociation sur l'emploi et l'accord signé début janvier. En Europe, pour limiter les effets de la crise, on tend vers une plus grande flexibilité du marché du travail avec un droit du travail assoupli. Alors qu'en France, on débat sur la manière de décourager l'usage abusif des CDD, un grand nombre de pays du Nord fait le contraire et tend à flexibiliser encore plus.
Dans ce contexte, comment vous positionnez-vous en tant que cabinet de recrutement ?
Notre axe différenciant par rapport aux autres cabinets de recrutement est clair. Depuis plusieurs années déjà, nous intervenons sur des contrats freelance ou des CDD aussi bien que sur des CDI. Notre valeur ajoutée, c'est de trouver des compétences, qu'elles soient pérennes ou ponctuelles, pour répondre aux besoins des entreprises. Nous avons donc des contacts dans ces deux catégories de professionnels. Or, nous nous apercevons que les frontières sont de plus en plus poreuses entre les deux populations. Les candidats passent de plus en plus rapidement d'un statut à l'autre, de la recherche d'une mission ou d'un projet à la recherche d'un CDI et vice-versa. Pour nous, les deux démarches ne sont pas à opposer, elles sont complémentaires en fonction des besoins de l'entreprise.
Comment évaluez-vous les demandes et les besoins des entreprises aujourd'hui ?
Il y a souvent un travail d'évangélisation à faire avec les entreprises qui demandent un freelance alors qu'elles ont plutôt besoin d'un CDI et inversement. Nous intervenons en conseil pour leur fournir les compétences les plus adaptées. Notre rôle va au-delà de celui du recruteur pour s'apparenter quelquefois à de l'assistance à maitrise d'ouvrage. Ainsi, un recrutement de CDI est toujours plus long, donc nous pouvons proposer des ressources expertes en freelance pour assurer la transition. Quelquefois, l'expertise ponctuelle d'un senior directement opérationnel peut faire avancer un projet plus vite qu'un junior. Il transmettra alors son expertise à quelqu'un de plus pérenne dans la société ou que nous recruterons pour un contrat à long terme.
Chez les grands comptes où la mobilité interne est importante, le temps de trouver les compétences au sein de l'entreprise peut être long. On aura recours ponctuellement à un freelance. De même, si un projet s’inscrit dans le temps, il faudra alors un CDI car le freelance en poste ne souhaitera pas rester trop longtemps. Il aura peur de se couper du marché ou pour se ressourcer, ce qui est aussi une revendication.
Quelles sont selon vous les tendances qui vont se dégager à l'avenir ?
En matière de recherche de compétences et quel que soit le type de contrat, on voit les entreprises évoluer vers un modèle anglo-saxon. Le mode d'organisation et de fonctionnement en projet est largement utilisé en IT, moins dans la communication et le marketing. Cependant, il tend de plus en plus à se développer.
Cela correspond également à une nouvelle génération de professionnels. Au bout de deux ans maintenant, ils veulent changer d’entreprise. Les cycles d’appartenance deviennent plus resserrés et les modes de travail évoluent, pour les salariés comme pour les entreprises. Celles-ci fonctionnent plus à court terme avec des résultats financiers trimestriels et tendent de plus en plus à s'organiser en mode projet. Les salariés, notamment les trentenaires, demandent plus de liberté et des projets bornés dans le temps. Nombre de professionnels de la communication et du marketing ont l’impression de progresser en changeant de problématique. De plus, le contexte économique incertain favorise cela, avec un sentiment d'appartenance à l'entreprise de moins en moins ressenti.
C'est une tendance que nous avions anticipée. Dans nos process de recrutement, elle est complètement intégrée à la façon dont nous contactons les candidats, les interviewons… Cette évolution nous a fait nous interroger sur la façon dont nous devons exercer notre métier pour répondre aux besoins des candidats, comme à ceux des entreprises.